Qui prend les patients en otage ?

OPINIONS. En réponse aux propos du ministre de la Santé rapportés dans les différents médias le 25 mai 2024 : « Les médecins prennent en otage la population », accuse Dubé.

Un propriétaire de logements signe un contrat de déneigement pour 2 ans. À son échéance, malgré le bon travail accompli du déneigeur, il décide de ne pas renouveler le contrat et de cesser de le payer en espérant qu’il allait continuer à gratter les cours de ses logements. Le déneigeur refuse de poursuivre bénévolement. Les locataires et leurs voitures sont laissés à eux-mêmes avec plusieurs pieds de neige. Qui les prend en otage? Le propriétaire ou le déneigeur?

C’est exactement ce qui se passe entre le ministre de la Santé, les médecins de famille et vous chère population. C’est dans un contexte d’un manque de plus de 1500 médecins de famille au Québec, d’une population qui a des 

besoins croissants en soins et résultant en un manque criant d’accès aux soins qu’il y a eu une entente entre le gouvernement du Québec et les médecins de famille au printemps 2022. Cette entente permettait aux médecins de famille, sur une base volontaire, l’inscription collective de patients, c’est -à-dire, d’augmenter l’accès aux soins à la population en faisant autrement: ne pas être inscrit auprès d’un médecin mais auprès d’un groupe de médecins, offrir une meilleure pertinence des consultations (GAP), appliquer un forfait de 120$ par patient pour notamment engager des professionnels, réorganiser les bureaux pour ce personnel, etc. 

L’objectif ciblé par le gouvernement: inscription de 500 000 Québécois. C’est tous les Québécois qui ont gagné ce pari, car, à ce jour, 950 000 ont été inscrits collectivement. Cette nouvelle approche, développée par des médecins du Bas-St-Laurent, s’appuyait sur un nouveau modèle de pratique médicale, le patient au bon professionnel, une équipe de soins pour tous les Québécois, de façon juste, équitable, basée sur les besoins réels. Est-ce que c’était perfectible? Oui! Pour la première fois depuis des années, nous avions une augmentation d’accès aux soins même si la pénurie de médecins et de professionnels s’accentuait. Cette entente se voulait un pont vers une réorganisation plus profonde de l’accès aux soins en première ligne au Québec: Alléluia!

Coup de théâtre! Malgré une réussite inespérée, le ministre de la Santé décide de façon unilatérale de mettre fin à l’entente et à son financement. Or, il souhaite que nous poursuivions tout de même, tout comme le propriétaire à logements. Qui prend les patients en otage?

Il est inacceptable d’affirmer que la priorité au Québec est l’accès aux soins de première ligne quand on détruit sa première réussite depuis des années, quand on y met seulement 5% du budget du réseau de santé, quand on nomme un CA de Santé Québec tout en excluant ses experts: les médecins de famille. La population a besoin d’une première ligne forte, pourtant les décisions du ministre ne font que l’affaiblir au détriment de ceux qui ont le plus besoin de soins.

À vous chers patients, pris en otage par notre ministre de la Santé, j’avoue être coupable d’avoir fait confiance à ce gouvernement, d’avoir embarqué dans cette entente, d’avoir convaincu des collègues d’en faire autant pour ouvrir nos portes aux patients orphelins via le GAP. Notre volonté était d’offrir des soins équitables à toute la population et non seulement à nos patients inscrits, ceci était impossible sans ressource supplémentaire, mais de plus en plus atteignable grâce à cette entente. Plusieurs médecins devront remercier le personnel engagé sur la base de cette confiance, nous nous en excusons, nous avons été naïfs, trop bons. Les médecins de famille ne demandent pas mieux que d’innover et d’améliorer l’accès aux soins à la population. Les solutions sont multiples, réalisables, connues et même criées au ministère, or nous ne sommes pas écoutés… 

Malgré tout, soyez assurés que nous souhaitons améliorer l’accès aux soins car vous êtes au cœur de nos préoccupations, et ce même si on nous demande de déneiger votre cour sans contrat.

Dre Patricia Caron, Médecin de famille

Clinique médicale de Saint-Gédéon-de-Beauce (GMF Beauceville)

Coordonatrice médicale du GAP CISSS de Chaudière-Appalaches

Coordonatrice médicale locale secteur Beauce