Saint-Georges. Une histoire supprimée
En visite à Saint-Georges, j’ai noté qu’on a donné le nom de Promenade Redmond à la Promenade Chaudière.
Rien à redire à ce qu’on honore un ancien maire avec, par exemple, l’Espace Redmond. Mais la Promenade Chaudière !? qui porte maintenant le nom de quelqu’un qui n’en est pas le concepteur … de quelqu’un qui appartenait à un groupe hostile à tout ce que son concepteur entreprenait ! On manœuvre entre le déni et la reconnaissance sélective.
Mon père, Jacques Pinon, ex-conseiller et ex-maire, a conçu le projet de la Promenade Chaudière. Il voulait un centre-ville accueillant, accessible, bordé d’un quai sur lequel s’appuieraient une véritable avenue et de nouveaux stationnements. De plus, ce quai protègerait le centre-ville des crues de la rivière. La mise en œuvre de la Promenade Chaudière allait de pair avec l’enlèvement de l’ile entre les deux villes. Au printemps, cette ile obstruait le cours de la rivière et occasionnait des inondations. Il l’a fait enlever et en a utilisé la terre sur laquelle se trouvent aujourd’hui Place Centre-Ville et les stationnements entre ce lieu et le pont actuel.
Ces ouvrages considérables et significatifs supplantent la construction d’un simple quai. Il les a réalisés en dépit de l’opposition viscérale, hargneuse, haineuse et richissime qui contestait tout son programme pour faire de Saint-Georges une ville fonctionnelle prête à son développement. Déjà, il planifiait ériger un petit barrage pour des activités récréatives et des passerelles pour se promener sur l’ile qui appartenait à M. Henri-Noël Veilleux.
Son programme ne s’arrêtait pas là. Pour les piétons et le cachet, il voulait garder le vieux pont. Pour favoriser la circulation, il projetait faire aboutir le nouveau pont sur la 2e avenue avec des accès pour la 1re. Évidemment, ses opposants ont combattu pour le pont actuel, plus bas, qui peut repousser l’eau et les glaces sur le centre-ville comme en 86.
Il a œuvré à établir le parc industriel pour attirer des industries nouvelles. Cela était tout à fait normal et souhaitable partout, sauf à Saint-Georges. Il révélait que ce projet a fait de lui un ennemi à abattre en osant empiéter sur la mainmise d’industriels locaux sur «leur» Saint-Georges. Ceux-ci ne voulaient pas d’industries «d’étranges». (Était-ce parce qu’une saine compétition aurait poussé à la hausse le salaire des travailleurs ?) Ces possédants s’objectaient avec hargne à un développement autre que celui de leurs usines. Mon père les qualifiait de vandales millionnaires.
Il a bravé d’autres nantis lors du noble projet du Soleil de l’enfance. Il soulignait que certains exigeaient qu’on érige l’édifice sur leurs terrains éloignés des développements de l’époque. D’autres pourraient alors profiter du prolongement forcé du réseau d’aqueduc et d’égout. Signalons également l’affaire de la construction du Palais des Sports. Ses militants clamaient que l’aréna serait indépendant et que les contribuables ne débourseraient pas pour l’établissement. Mon père démontrait que c’était impossible et que l’aréna deviendrait forcément municipal. À l’évidence, il a vu juste. Les citoyens méritaient un aréna … et la vérité. Toutefois, comme c’est souvent le cas en politique, les moyens financiers pour envouter priment.
De vieilles histoires ! Sans doute. Mais encore de nos jours, la reconnaissance sélective se prolonge. Des courses d’embarcations sur la Chaudière, c’est récent !? Dès les années soixante, Jacques Pinon organisait des courses de canots avec des membres des Premières Nations. La descente des Indiens. Précisons qu’il était frère de sang avec le grand chef Max Gros-Louis de la nation Wendat.
Quand on a réalisé le barrage amovible, on a dénié que c’était déjà un projet de mon père il y a quelques décennies. Il a fallu attendre longtemps pour ce barrage. Il convenait de ne pas se mettre à dos les fortunés représentants de l’ordre établi. Comprenons bien qu’en pleine révolution tranquille, les projets bien ficelés trouvaient écho auprès du gouvernement. Le temps était propice au développement … sauf à Saint-Georges.
La récente Commission Charbonneau a démontré des pratiques qui ne datent pas d’hier. Pour me faire la leçon, mon père m’avait exposé qu’on lui avait offert de l’argent sous la table. Il répondait alors, dans le langage qui lui était propre : «Non monsieur ! Je ne mange pas de ce pain-là !». Cela aujourd’hui parait facile, digne, honnête et honorable. Mais avec de tels refus, on se crée d’autres ennemis pesants. J’ajouterais ironiquement que, s’il était rentré dans le rang, sa famille l’aurait eu un peu plus facile, après son décès. L’honneur est entier mais la considération parait lointaine.
Je garde de noirs souvenirs de cette époque féroce. J’aurais tellement préféré que le paternel mène une petite vie tranquille. Il a choisi d’œuvrer vaillamment au développement de Saint-Georges. Il a lutté sans en tirer d’avantages personnels, bien au contraire. On ne peut impunément braver la haine d’un establishment local. Il est donc conséquent que la municipalité réduise son passage à l’hôtel de ville à un quai mal entretenu.
Cela peut sembler téméraire d’oser tenter de rétablir sa mémoire déchue. Sommairement et sans doute un peu maladroitement, je m’y suis risqué.
Où en étais-je ? Ah oui !… la Promenade Chaudière…
Luc Pinon