Transferts en santé, logement et environnement: provinces et organismes réagissent
MONTRÉAL — Déceptions sur les transferts en santé et l’assurance-emploi, aides au logement saluées et manque de leadership en environnement: le budget fédéral présenté jeudi par la ministre des Finances Chrystia Freeland a suscité plusieurs réactions du côté des provinces et d’organismes de divers milieux.
Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a indiqué que le budget de Mme Freeland posait des gestes dans plusieurs dossiers importants. Cependant, «nous déplorons l’absence d’augmentation des transferts en santé. Notre demande répétée est claire et le gouvernement fédéral doit y répondre le plus rapidement possible», a-t-il écrit sur Twitter.
Plusieurs organismes québécois ont également déploré une augmentation inférieure aux attentes des transferts en santé versés aux provinces et territoires.
Pour la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), la hausse prévue par Ottawa est uniquement due à la croissance du PIB et la contribution du gouvernement fédéral demeure inférieure aux 35 % nécessaires pour financer adéquatement les dépenses de santé.
La Confédération des syndicats nationaux (CSN) a déploré que le gouvernement ait privilégié des programmes de santé particuliers plutôt que de rehausser les transferts fédéraux aux provinces.
«Encore une fois, le gouvernement fédéral ignore l’appel unanime des provinces qui, comme le Québec, ont vu les coûts de leur système de santé exploser pendant qu’Ottawa demeure les bras croisés», a mentionné par communiqué la présidente de la CSN, Caroline Senneville.
Les centrales syndicales ont également précisé vouloir surveiller les mesures liées à l’assurance médicaments, la CSN saluant les avancées en matière d’assurance dentaire.
Pour la FTQ, il s’agit d’un «pas dans la bonne direction pour l’assurance médicaments», mais elle demeure prudente quant à sa mise en place.
«Il faudra s’assurer que le gouvernement provincial s’assoie et qu’il négocie avec Ottawa pour mettre en place un régime qui est équivalent ou supérieur à celui proposé par le fédéral», a précisé le secrétaire général de la FTQ, Denis Bolduc.
Logement
L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a accueilli positivement plusieurs mesures du budget de Mme Freeland, notamment celles pour répondre à la pénurie de logements.
L’Initiative canadienne pour la création rapide de logements (ICRL) sera prolongée de deux ans grâce à un investissement de 1,5 milliard $, tandis que 4 milliards $ sur cinq ans permettront de créer un nouveau fonds pour accélérer la construction de logements, ce qui a particulièrement satisfait l’UMQ.
«La pénurie de logements touche toutes les régions du Québec, et cela, sans exception. C’est pourquoi on ne peut que saluer les aides annoncées aujourd’hui par le gouvernement fédéral, qui permettront, espérons-le, de convertir rapidement les investissements en nouveaux logements sociaux et abordables», a déclaré le président de l’UMQ et maire de Gaspé, Daniel Côté.
L’UMQ est néanmoins déçue que le plan budgétaire ne prévoie aucun investissement additionnel pour certains dossiers prioritaires pour le milieu municipal, notamment les infrastructures récréatives et sportives et le transport aérien.
La Fédération canadienne des municipalités (FCM) a également reconnu que l’abordabilité du logement est une priorité absolue.
«En tant que dirigeants locaux, nous sommes prêts à faire notre part pour améliorer les offres de logement pour les Canadiens, et ce budget nous aide à continuer à avancer», a commenté Joanne Vanderheyden, présidente de la FCM et mairesse de la municipalité de Strathroy-Caradoc, en Ontario.
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a salué le budget fédéral axé sur le logement et l’abordabilité.
«Les mesures touchant l’habitation répondent à un besoin criant vécu par les Montréalaises et Montréalais. L’aide au logement abordable et la mesure pour limiter les “flips immobiliers” étaient nécessaires», a-t-elle écrit sur Twitter.
Pour l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), il serait plus judicieux de cibler l’ensemble des investisseurs qui dominent le marché immobilier plutôt que d’empêcher seulement les achats par des investisseurs étrangers.
«Le Canada ne s’est jamais remis des coupes dans les programmes de construction de logements sociaux dans les années 1990 et jusqu’ici, la Stratégie nationale du logement a surtout favorisé la construction de logements locatifs qui ne sont pas accessibles aux ménages à faible revenu. Étant donné ce retard, les logements dits abordables disparaissent plus vite que ceux qui se construisent. Le gouvernement veut contribuer à la construction de 100 000 logements sur cinq ans ; or, 250 000 à 350 000 nouvelles unités sont nécessaires pour répondre aux besoins actuels», a expliqué Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS.
Environnement
Plusieurs acteurs ont déploré le manque de leadership du gouvernement fédéral en matière d’environnement.
Pour la Fondation David Suzuki, le budget fédéral déposé jeudi a raté une occasion importante de respecter la promesse électorale du gouvernement d’éliminer progressivement le financement public des combustibles fossiles.
L’organisme a déploré dans un communiqué qu’un «nouveau crédit d’impôt à l’investissement pour le captage et le stockage du carbone mettra 2,6 milliards $ annuellement dans les poches des sociétés pétrolières et gazières».
«Le budget d’aujourd’hui contient des investissements très positifs dans l’action climatique, mais il y a une contradiction inhérente à offrir un crédit d’impôt gigantesque aux entreprises qui alimentent la crise climatique», a déclaré Sabaa Khan, responsable de l’équipe climat et directrice générale pour le Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki.
La fondation a néanmoins salué certains investissements dans la protection de l’environnement, dont les 900 millions $ pour l’électricité propre et les montants consacrés aux véhicules électriques.
Équiterre a de son côté estimé que le budget fédéral ne reflète pas l’urgence climatique puisque les ambitions de son plan de réduction des émissions seront annulées par le développement du projet pétrolier Bay du Nord.
«On confirme les intentions du plan de réduction des émissions, mais les coupes dans les subventions aux énergies fossiles sont tout simplement microscopiques», a affirmé Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales d’Équiterre.
L’organisme a aussi souligné l’absence d’un mode de financement efficace et fiscalement responsable de son programme d’incitatifs à l’achat de véhicules zéro émission.
«Bien qu’une généreuse somme de 1,7 G$ supplémentaires sur cinq ans soit accordée pour les subventions à l’achat de véhicules électriques, la facture est encore une fois épongée par l’ensemble des contribuables», a précisé Andréanne Brazeau, analyste en mobilité d’Équiterre.
Si la mairesse de Montréal a salué les initiatives en matière de logement, elle a dit qu’elle aurait souhaité que la même importance soit accordée à la transition écologique.
«Nous saluons l’appui financier pour l’arrivée du bureau de l’ISSB (International Sustainability Standards Board) à Montréal. Malgré les investissements pour accélérer l’électrification des transports, nous aurions souhaité voir un engagement plus concret pour lutter contre les changements climatiques», a-t-elle écrit dans un message sur Twitter.
Pour l’IRIS, le budget fédéral a échoué à présenter un plan cohérent et réaliste en matière de transition énergétique et a ignoré les recommandations des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
«L’absence de mesures structurantes pour réduire la dépendance du Canada aux énergies fossiles risque de faire croître le cynisme de la population envers les institutions parlementaires», a ajouté Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS.
Emploi et économie
En matière d’assurance-emploi, la déception est grande pour la CSN. La centrale syndicale a estimé que la ministre Freeland a envoyé «un très mauvais message aux travailleuses et travailleurs sans-emploi, en ne renouvelant pas les mesures temporaires apportées depuis le début de la pandémie pour améliorer l’admissibilité au régime d’assurance-emploi».
La CSN comme la FTQ ont dit attendre avec impatience la réforme promise sur l’assurance-emploi, dont les consultations traînent en longueur.
«On semble repousser de nouveau la réforme de l’assurance-emploi. Nous l’avons dit à plusieurs reprises : le programme d’assurance-emploi a été considérablement malmené au cours des dernières décennies, ce que la crise a mis en lumière avec acuité», a ajouté Pierre Céré, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses (CNC).
Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) a pour sa part accueilli favorablement le budget, observant plusieurs initiatives intéressantes sur le plan de l’innovation et l’investissement.
«Nous voyons aussi d’un bon œil la réduction du fardeau fiscal pour les PME (petites et moyennes entreprises), demandée depuis longtemps. N’en demeure pas moins que d’autres chantiers méritent un coup de pouce du fédéral, notamment des incitatifs pour les travailleurs expérimentés et le prolongement des programmes d’aide dans certains secteurs d’activités en difficulté», a déclaré Karl Blackburn, président et chef de la direction du CPQ.
La Chambre de commerce du Montréal métropolitain a très favorablement accueilli l’accent mis sur l’innovation.
«Nous saluons particulièrement la décision d’investir 750 millions $ sur six ans pour poursuivre la stratégie de développement des grappes d’innovation mondiales, ce qui permettra aux entreprises de la métropole et du reste du Canada de bénéficier de l’expertise en intelligence artificielle de la supergrappe Scale AI pour améliorer leur productivité», a souligné Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre.
La Chambre de commerce du Canada a remarqué que plusieurs mesures sont favorables aux entreprises, notamment l’élimination de l’accès au taux d’imposition des petites entreprises de façon plus graduelle ainsi que les investissements dans l’industrie des minéraux critiques.
Le président et chef de la direction de la Chambre, Perrin Beatty, a néanmoins déploré l’absence d’allègement de la dette des entreprises qui ont eu recours à des programmes de soutien gouvernementaux et un manque d’intérêt pour les mesures de soutien à la cybersécurité directement destinées au secteur privé.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) aurait aimé voir des mesures pour soutenir la reprise postpandémique des PME, alors que le budget fédéral annonce la fin de tous les programmes d’aide COVID-19.
«La FCEI s’est battue pendant des années pour que le taux d’imposition des PME soit réduit. (…) Nous félicitons Ottawa d’avoir adopté la recommandation que nous faisions depuis longtemps pour que ce plafond (de capital imposable) soit relevé à 50 M$ afin d’encourager la croissance d’un plus grand nombre de petites entreprises», a fait remarquer Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales.
L’Union des producteurs agricoles (UPA), bien qu’accueillant positivement plusieurs mesures budgétaires, a rappelé que le soutien fédéral et provincial accordé aux agriculteurs québécois est l’un des plus faibles sur la planète, proportionnellement à la valeur de la production agricole.
Les investissements de 329,4 millions $ pour le Programme des technologies propres en agriculture et de 469,5 millions $ pour élargir le Fonds d’action à la ferme pour le climat du programme Solutions agricoles pour le climat font partie des mesures d’intérêt remarquées par l’UPA.
De leur côté, les Producteurs laitiers du Canada (PLC) ont accueilli positivement les éclaircissements offerts dans le budget sur l’échéancier du gouvernement concernant l’annonce d’indemnisation complète et équitable pour les impacts de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).
Les représentants de l’industrie laitière se sont toutefois dits inquiets de l’absence des modalités de la compensation, alors que leur production a besoin de prévisibilité.
Par ailleurs, la fin des taxes d’accise sur la bière non alcoolisée a été soulignée par Bière Canada, qui a précisé qu’il s’agissait d’une harmonisation avec le traitement accordé aux vins et aux spiritueux non alcoolisés au Canada.